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Les conduites alimentaires de demain : dans le monde, horizon 2030

Pilotée par le Centre d’études et de prospective du MAA1, la prospective MOND’Alim 2030 vise à décrire les phénomènes actuels de mondialisation des systèmes alimentaires et à en dégager les principales dynamiques. Un des chapitres de l'ouvrage est consacré aux conduites alimentaires, qu’elles soient installées ou émergentes. Aperçu... 

Diffusion des denrées à grande échelle, défi à la saisonna-lité, crainte d’une assiette standardisée, voire « américanisée », sont autant de représentations communes de la mondialisation. MOND’Alim 2030 est allé au-delà en considérant la diversité de la question alimentaire. Ce panorama prospectif ne décrit pas l’alimentation dans le monde, mais décrypte les processus de mondialisation à l’œuvre. Les consommations, les pratiques et les représentations qui orchestrent les conduites alimentaires y sont plus spécifiquement étudiées. Une attention particulière a été portée aux couches moyennes urbanisées, considérées comme vectrices de changements sociétaux significatifs et révélatrices des tendances de mondialisation. En augmentation constante, leur part devrait atteindre les deux tiers de la population totale en 2030. Sur cette base, diverses tendances principales ont été identifiées. Elles sont brièvement présentées ici.

Convergence des grands équilibres de la ration

Les transitions nutritionnelles nationales se traduisent par une convergence des grands équilibres de la ration : avec l’amélioration du niveau de vie les quantités consommées augmentent, puis la structure de la ration évolue (fort accroissement de la part des lipides, diminution de celle des glucides, remplacement partiel des protéines végétales par des protéines animales). Très avancées dans les pays développés, ces transitions se font à des vitesses variables. Par exemple, la transition nutritionnelle française s’est déroulée en deux étapes, au cours du XIXe et du XXe siècles, alors que celle de la Chine se caractérise par la superposition des deux étapes en moins de 50 ans. Des diversités se maintiennent cependant entre grandes régions, entre pays, y compris de même niveau économique. Par exemple, l’alimentation japonaise est forte-ment basée sur les poissons et produits de la mer et celle de l’Inde reste encore très végétarienne.

Les produits animaux, révélateurs des évolutions en cours


De 1961 à 2011, la consommation mondiale de produits carnés est passée d’environ 23 kgec2/pers/an à 42 kgec, celle de poissons et de produits de la mer d’environ 9 kg de poids vif/pers/an à 21 kg et celle de lait d’environ 75 kg à 91 kg. Cette tendance est notable dans les pays émergents, alors que les pays les plus développés connaissent un tassement, voire une diminution de la consommation de produits carnés. D’ici 2030, la croissance de ces consommations devrait se généraliser, avec une poursuite de l’augmentation en viande de volaille (+170 %) pour toutes les régions et une diminution en viande bovine et en lait, sauf en Asie de l’Est et dans le Pacifique. La consommation de produits de la mer devrait, quant à elle, se développer essentiellement en Chine. Toutefois, dans les années à venir, divers défis s’annoncent (prix d’achat, questions environnementales, nutritionnelles, sanitaires, éthiques, etc.) notamment pour les produits carnés, ainsi que la question des sources alternatives de protéines.

Les problématiques nutritionnelles se transforment

L’évolution des enjeux nutritionnels va de pair avec les tendances précédentes. Si l’insécurité alimentaire quantitative mondiale a globalement diminué dans les dernières années – excepté en Afrique Centrale et de l’Ouest –, les problématiques nutritionnelles mondiales vont perdurer d’ici 2030 en se transformant : de nombreux pays sont d’ores et déjà confrontés à un double phénomène de carences nutritionnelles et de maladies dues au surpoids.

Diffusion et réinterprétation des produits, recettes et plats

La diffusion des produits alimentaires accompagne de longue date le développement des échanges et du commerce. Cependant, on assiste depuis plusieurs décennies à un changement d’échelle, dû à l’industrialisation des systèmes alimentaires, capables de commercialiser de grandes quantités de produits transformés. Ces derniers répondent en particulier aux attentes des consommateurs urbains. Leur fabrication repose sur une standardisation accrue des matières premières, ingrédients et produits alimentaires intermédiaires. Ils représentent 85 à 90 % de la dépense alimentaire des ménages des pays les plus riches et leur consommation est croissante dans les autres pays. Cette large diffusion s’accompagne de celle des goûts et des saveurs, facilitée par des marques présentes partout dans le monde mais également par le biais des migrations, des échanges culturels et touristiques. Toutefois, les produits sont très souvent adaptés aux contextes locaux par les entreprises ou réappropriés par les mangeurs (recettes, plats, présentations, condiments, sauces, etc.).

De nouvelles proximités recherchées

L’urbanisation, l’allongement des chaînes alimentaires, l’offre de produits préemballés entraînent, pour les mangeurs, une augmentation de la distance (physique et cognitive) entre eux et l’aliment. Les consommateurs doivent alors faire évoluer leurs pratiques d’évaluation de la qualité. A l’échelle mondiale, les vecteurs d’information se multiplient et s’entremêlent, la traçabilité et la confiance étant des enjeux de plus en plus prégnants. En réaction, les consommateurs, notamment issus des couches moyennes urbanisées, vont chercher de nouvelles proximités : circuits locaux, agriculture urbaine, commerce équitable, production de terroir, gouvernance locale des systèmes alimentaires, etc.

Réappropriation locale des mets diffusés à grande échelle

Les mets, les goûts et les saveurs font également l’objet d’une diffusion mondiale, mais leur réinterprétation est plus forte que pour les produits industriels, comme l’illustre la pizza, plat d’assemblage le plus consommé au monde. Ces mets sont réinventés sur les lieux de consommation.

« Local/mondial » : un dialogue amené à durer

In fine, à l’horizon 2030, la standardisation et la diffusion des « produits globaux » seront toujours des réalités assorties d’une différenciation locale plus importante. L’accroissement de la diversité des produits consommés va se poursuivre, dans un dialogue constant entre local et mondial.

Une alimentation de plus en plus intercalaire et individuelle

L’exigence de rapidité imprègne les conduites alimentaires. De plus, l’accès régulier à des produits sûrs, sains, diversifiés, faciles d’utilisation, etc., fait rétrograder l’alimentation dans l’ordre des priorités sociales : elle devient subordonnée à d’autres considérations (travail, loisirs, etc.) et donc intercalaire.

Des temps alimentaires réduits et fractionnés

Si les temps alimentaires sont variables entre les pays, les cultures et les individus, ils diminuent de façon globale sous l’influence de différents facteurs dont la diffusion mondiale du modèle de la grande distribution et l’offre de produits préparés. A noter que là où la grande distribution est implantée de longue date, la recherche de gain de temps pour les nouvelles générations se fait plutôt au profit des achats dématérialisés, les « centres commer-ciaux » étant de plus en plus dévalorisés. Ce phénomène pourrait vite concerner les grands pays émergents. On assiste également au développement du fractionne-ment des temps alimentaires, notamment dans les pays où traditionnellement les repas se prenaient collectivement. La différenciation des horloges alimentaires devrait concerner un nombre croissant de mangeurs d’ici 2030.

L’essor des « alimentations particulières »

L’individualisation se traduit, quant à elle, par un renforcement des particularismes alimentaires, tendance forte à 2030. Si elles ne sont pas nouvelles, les « alimentations particulières » relèvent aujourd’hui d’une décision personnelle et d’ordres hétérogènes : sanitaire, médical, éthique, religieux, etc. Qui plus est, des évolutions de l’offre appuient cette individualisation. Par ailleurs, le retour aux « fondamentaux » est ici une co-tendance importante : il s’agit moins de renouer avec certaines traditions que d’y puiser certaines références.

Des enjeux de plus en plus partagés entre mangeurs

A l’échelle mondiale, se consolident des enjeux partagés entre mangeurs, notamment pour les fractions supérieures des couches moyennes urbanisées. Ces nouvelles priorités données à l’alimentation sont vectrices d’un effet de masse d’ici 2030 et de changements importants dans les comportements, les modes de vie et les systèmes alimentaires. Citons, par exemple, la consommation mondiale de produits biologiques. Différents facteurs favorisent un vaste mouvement mondial de diététisation de l’alimentation, qui s’amplifiera d’ici 2030 : responsabilisation des mangeurs et leur montée en compétence diététique, augmentation de la prévalence des maladies liées à l’alimentation, actions des institutions publiques pour inciter à modifier les comportements.Simultanément, se développe un certain discours « antihygièniste », en opposition aux prescriptions de comportements alimentaires « sains ».

Une volonté de contrôle de l’origine et de la qualité

Autres sujets montants, le « local » et l’« environnemental » prennent différentes formes en termes de comportements. En réponse à la distanciation croissante du mangeur avec les modes de production des denrées alimentaires et le fonctionnement des systèmes alimentaires, certains consommateurs cherchent à mieux contrôler leur alimentation : achats éthiques, environne-mentaux, locaux et même contribution à la mise en place de nouvelles offres. Une grande diversité d’initiatives existe : commerce équitable, Community-Supported Agriculture, économie collaborative, etc. Si elles restent concentrées dans les pays les plus développés, ces initiatives pourraient se multiplier à l’échelle mondiale. Il ne faut cependant pas exclure que certaines d’entre elles constituent à terme un segment de marché comme un autre, perdant ainsi leur dimension critique. Par ailleurs, de plus en plus de villes et régions s’impliquent désormais dans la construction d’identités et de systèmes alimentaires locaux.

Le développement des produits « verts », en Chine notamment

Quant aux problématiques environnementales proprement dites, elles sont de plus en plus prégnantes à l’échelle mondiale. Par exemple, le marché des produits « verts se développe rapidement en Chine : inexistant au début des années 2000, il répond à une demande citadine, poussée par des exigences sanitaires. Pourtant, l’évolution des comportements liés à ces enjeux pourrait connaître une inversion ou un affaiblissement d’ici 2030, pour diverses raisons, telles que le prix des produits, l’arbitrage entre différents aspects de la qualité, la concurrence entre labels, etc.

15/11/2017


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