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Alimentation : les drôles de chemins de la confiance

Les régimes « sans » : Camille Adamiec, sociologue spécialiste de l’orthorexie à l’Université de Strasbourg, nous explique pourquoi les consommateurs se méfient de certains aliments et les écartent de leur assiette. 

Comment expliquez-vous la multiplication des régimes « sans » ?

Face aux nombreuses innovations des industries alimentaires et confrontés à une multiplicité d’expertises contradictoires, les sociologues de l’alimentation (C. Fischler, J-P. Poulain, J-P. Corbeau, A. Hubert) montrent combien il est difficile pour les individus de faire le tri des informations disponibles afin de choisir en toute confiance. 

Dans un contexte de fortes inquiétudes, de nécessité grandis-sante de contrôle des aliments qui communient avec le corps et de quête de la santé parfaite, les régimes « sans » ne cessent de se multiplier. Ils peuvent apparaître aux individus comme un moyen de se fixer des règles et de renouveler les catégories « sain/malsain ». 

Il y a une sorte de structure commune aux différents régimes « sans ». Selon les moments, les endroits et les individualités, cette structure se focalise ou s’ajuste à un type d’aliment en particulier. L’ensemble des représentations et des imaginaires, liés à l’aliment stigmatisé, sont alors utilisés et réactualisés pour le diaboliser. Il catalyse les peurs face aux dangers et à la trahison possible des aliments. Le blé ou le lait structure l’alimentation de nos sociétés ; une partie des politiques nutritionnelles et des lobbyings alimentaires en sont issus. Il y a donc des enjeux à la fois politiques, économiques et symboliques à décrypter pour mieux comprendre leur rôle de bouc émissaire. 

Qu'est-ce qui motive les adeptes du « sans » ?

Les régimes alimentaires, quels qu’ils soient, engendrent une multitude d’inconvénients mais procurent également des avantages aux individus qui s’en revendiquent. Des inconvénients car ils limitent le choix, ils compliquent les situations d’interactions sociales (restaurants, cantines, etc.), obligeant à une gestion du temps plus rigide et plus complexe, à prévoir sur le long terme les différentes prises alimentaires ainsi que les lieux d’achats (magasins spécialisés) et les achats eux-mêmes pour les pro-duits non étiquetés (lecture d’étiquette longue et fastidieuse). Mais ce que l’on qualifie volontiers d’inconvénients sont autant de bénéfices et de jalons pour des individus qui cherchent à donner du sens à leur vie et à leurs pratiques. 

Exemple : l’un des effets pervers de l’abondance, c’est l’incapacité pour l’individu de choisir face à la multiplicité. Lorsqu’on suit un régime « sans », les choix sont limités par l’intolérance supposée du corps à l’élément en question (ex : ingrédient, protéine, allergènes…). Le corps et ses dérangements se font guides dans une société qui prône la responsabilisation et l’intellectualisation des conduites (en matière d’alimentation notamment) et qui provoque, comme le soulignait A. Ehrenberg, une sorte de fatigue de la responsabilité chez les individus. Dans ce contexte, et à titre d’exemple, suivre un régime aussi contraignant que le « sans gluten », se présente comme salvateur pour l’individu inquiet et incertain. Ainsi à travers les régimes « sans », se font jour des règles et des dogmes qui reconstruisent le monde du mangeur sur de nouveaux principes et de nouvelles impositions. 

Pourquoi un tel engouement à « s'interdire » tel ou tel aliment ou ingrédient ? Est-ce lié à certains moments de la vie (âge, par exemple) ou de la société (effet de mode, par exemple) ?


Sur le plan individuel, il y a des points communs dans la volonté de faire « une diète » : le besoin et l’envie de se fixer des règles et des objectifs dans la perspective de devenir un individu meilleur, le plaisir de la réussite, la culpabilité face à l’échec, mais aussi le besoin de se distinguer et cette impression, ponctuelle, d’une supériorité face à des comportements jugés malsains. Faire montre de sa capacité à résister aux plaisirs et à la tentation, faire de ses ascèses une force de caractère est le soubassement d’une vie plus saine et meilleure. Cette envie d’être perçu comme quelqu’un de volontaire, de parfait, un modèle.

Par ailleurs, la mise au régime dans les parcours ou les trajectoires des mangeurs survient souvent à des moments particuliers, des moments de changement où le besoin de se rassurer se fait plus important.
Mais la question des régimes est bien sûr à replacer au sein de notre société : une société qui se caractérise notamment par une importance capitale donnée à la santé. La santé y est valorisée comme un succédané de bonheur, de plénitude, une attente que les individus sont en droit de réclamer et ont le devoir, la responsabilité de préserver. L’alimentation est présentée comme l’un des principaux vecteurs de santé. Dès lors, pour les individus, comme pour les professionnels de santé, la question de l’alimentation-santé est au cœur des pratiques de soin et des pratiques quotidiennes des individus.

Comment donner confiance au consommateur autrement que par l'exclusion ?

Le travail de confiance nécessite des mises en frontières. Or tracer des frontières implique quelque chose de l’ordre de l’exclusion. La peur d’être empoisonné par – ici un aliment –venant de l’extérieur a traversé les siècles. Elle se manifeste encore aujourd’hui dans des comportements de méfiance ou d’exclusion vis-à-vis de certains aliments, considérés comme néfastes pour la santé.

Je crois que l’un des moyens de rétablir la confiance est de montrer combien la notion de « bonne santé » est subjective. Il s’agit de se demander ce qui est « bon » pour soi, quelles sont ses attentes vis-à-vis d’une bonne santé afin de relativiser le caractère unilatéralement néfaste de tel ou tel aliment.

 Par ailleurs, je dirai que pour ne pas exclure de manière radicale ou pressante tel ou tel aliment de son quotidien alimentaire, les mangeurs ont besoin de disposer de sources d’informations précises qui les aident à comprendre et à choisir. 

Enfin, l’alimentation n’est pas, on l’a vu, uniquement affaire de besoins physiologiques. Pour manger en toute confiance, les mangeurs ont besoin de trouver et de donner un sens à leur consommation alimentaire. L’alimentation que l’on choisit de faire sienne dit beaucoup de l’avenir que l’on espère construire.






12/12/2016


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